Dix ans après le cataclysme qui frappa cette bonne vieille Terre, les coursives spacieuses et propres des colonies privées de MoonCol affichent toujours leurs holovid montrant de grands dômes aux matériaux arachnéens, abritant de luxuriantes forêts, des enfants s'amusant dans l'herbe, la planète bleue occupant une partie du ciel lunaire. Quelques corpo subalternes auront oubliés de déprogrammer cette communication, qui malgré la situation enviable des communautés, est encore très loin d'être d'actualité.
Dans les années 2070, MoonCol était en guerre contre les Onze. Oui, dit comme ça, on imagine un preux chevalier en armure, affrontant une horde de sauvages. Mais en réalité, la corporation née d'un programme UN était sur le point de disparaître, de manière violente. S'appuyant essentiellement sur le charisme de son CEO, Mutton Hendleberg, la firme europane s'était affranchie de tous les carcans étatiques, et avait rapidement formée une flotte de lanceurs suborbitaux, à coups de milliards d'eurocreds, avant que ces derniers ne perdent les trois quarts de leur valeur. MoonCol, son truc, c'était l'hélium3 (et beaucoup d'optimisation fiscale également). Les premières colonies lunaires furent rapidement en place, dans les années 60, et comme tout bon génie des affaires europan qui se respecte, Hendleberg prit la grosse tête et s'appropria la Lune. Les Dragons possédaient plusieurs stations minières, ainsi qu'une petite colonie scientifique, rien de bien extraordinaire, mais suffisamment toutefois pour se sentir viser par ce remake de l'expansion colonialiste occidentale. Plusieurs OPA plus tard, les keratsu avaient saignées MoonCol à blanc, contraignant Hendleberg à larmoyer dans des émissions holovid pas trop regardées.
Souvenez-vous, à l'époque, les nations europanes étaient infestées par des mouvements contestataires violents, d'infâmes séditieux voulant manger à leur faim et ne plus être sommairement exécutés. Par quelques tours de passe-passe, ce fut MoonCol qui obtint le juteux contrat visant à se débarrasser des encombrants. Les projets de belles stations balnéaires sur la Lune furent oubliés, et de bien moins beaux pénitenciers supermax les remplacèrent. Des importuns ayant toujours la fâcheuse tendance à recruter quelques punks pour exfiltrer de dangereux activistes, ces derniers furent transférés sur la Lune, et tant pis si quelques cargos disparurent en flammes dans l'atmosphère. Paraît-il que Mutton Hendleberg se suicida en vivant sa première émeute lunaire, ses équipes n'étant pas alors formées pour contenir une population carcérale. Quoiqu'il en soit, la corporation parvint à se maintenir dans l'ombre des gouvernements europans, oubliée de toutes et tous, ses ambitions revues à la baisse.
Bon, comme ça, on dirait bien une sorte de happy end corporatiste, un peu glauque certes, mais nous montrant que quand on veut, on peut. Oui, sauf que MoonCol était alors sous perfusion de fonds UN, et que peut-être dans quelques décennies, la gestion des cinq prisons supermax lunaires deviendrait rentable pour la corpo. Mais la Guerre du Point final vint bouleverser les projections optimistes. Les Onze avaient depuis longtemps rachetés tous les éléments technologiques brevetés par MoonCol, et sans plus aucun lien avec son approvisionnement terrien, la corporation se vit rapidement incapable de subvenir aux besoins en eau, air, énergie, nourriture, bref, les émeutes devinrent quotidiennes, et deux stations pénitentiaires tombèrent sous la coupe de bandes de prisonniers. Pas des écologistes malmenés, non, mais plutôt le genre cyberpsychopathes bourrés d'implants. Une troisième se verrouilla, suite à une épidémie quelconque, et son réacteur se mit en veille, tuant toute forme de vie à l'intérieur.
Le XXIIème siècle arrive, et pour les corpos de MoonCol, l'heure n'est donc pas à la fête. Dix années depuis le Point final auront permis à quelques cadres ingénieux de bricoler des solutions viables afin de transformer les deux pénitenciers encore fonctionnels en stations à peu près autonomes. Les quartiers supermax sont toujours pleins à craquer, essentiellement grâce aux nouveaux arrivants originaires des colonies orbitales, surpeuplées et ne s'encombrant pas de droits de l'Homme et autres billevesées rétrogrades. Ce sont elles également qui fournissent la technologie manquante à MoonCol, qui troque les produits de ses serres hydroponiques. Il faut bien l'avouer, même si les anciennes publicités vantant le paradis ne sont pas contractuelles, les conditions de vie pour les personnels des deux stations restent très au-dessus du niveau de vie moyen sur Terre. Évidemment, il faut être adepte des trois petits singes pour ne pas se souvenir qu'à une cloison blindée de distance, 90% de la population locale vit avec un minimum calorique quotidien, et des conditions de détention épouvantables.
MoonCol perdure donc, pas au sommet de sa forme, mais regroupant lentement des ressources afin de s'assurer la mainmise sur la Lune et son hélium3, le bon vieux rêve de papy Hendleberg. Grâce au soutien intéressé des habitats orbitaux, à l'absence des Dragons sur le satellite, et à une force de frappe désormais conséquente, un projet de réappropriation à été initié. La CEO Yenduli Avasharala a patiemment sélectionnée les membres d'une équipe tactique, lourdement équipée, parfaitement formée, afin d'aller lui récupérer les trois stations perdues par négligence. Jouant du bâton et de la carotte, elle a également su s'attirer les services de plusieurs groupes de détenus, se voyant octroyés quelques privilèges en échange de basses besognes. L'esclavage corporatiste, un classique. Les habitants des stations MoonCol ont depuis longtemps prit l'habitude de découper leurs habitats en trois régions distinctes; Le Paradis, réservé aux familles des corpos, rassemblant toutes les ressources vitales et récréatives, le Purgatoire, où vivent des employés non essentiels et des prisonniers dans les bonnes grâces du conseil d'administration, et l'Enfer, l'essentiel des infrastructures, où s'entassent bien trop de condamnés à l'oubli, se battant pour les quelques miettes, au sens propre comme au figuré, que celles et ceux du Paradis leur donne. Découpage simple, marquant les esprits et façonnant les attitudes.
Plus en détail, qu'en est-il de la situation lunaire? Pour MoonCol, la station Murassa reste la plus fonctionnelle, et malgré un réacteur à fusion vieillissant, elle abrite une population de 13 429 habitants, soit 10% de trop par rapport à sa capacité maximale. 208 cadres corporatistes, des gardes et leurs familles vivent au Paradis, dans tout le confort possible en cette époque post-apocalyptique. Le MESH n'est plus qu'un lointain souvenir, et celles et ceux qui insistaient pour un retour sur Terre sont tous descendu en Enfer. Le conseil d'administration de Murassa est efficace, à l'écoute des besoins de sa population, une partie des ressources alimentaires est même allouée aux habitants de l'Enfer. De l'extérieur par contre, les dômes semblent plutôt indiquer une installation militaire, avec leur épais blindage remplaçant les fragiles et esthétiques dentelles de fibroplast. Pas moins de trois cercles de sentinelles robotisées lourdement armées veillent sur la zone de mare nectaris, et le conseil envisage même d'allouer scaphandres et rovers à quelques patrouilles de condamnés, bien entendu équipés de dispositifs de traçage agrémentés d'explosifs. Le spatioport est un dôme isolé, automatisé et protégé par des sentinelles robots. Il renferme trois navettes légères faisant le lien avec les colonies orbitales. Désormais anciennes, elles représentent une somme conséquente de technologie, que MoonCol défendra avec violence en sacrifiant des vies. Celles de détenus, bien entendu. Deux des huit dômes secondaires sont toujours en travaux de pressurisation, et comme deux autres parfaitement fonctionnels, deviendront des serres hydroponiques. Environnements hermétiques et occupés par des équipes de botanistes orbitaux, les Serres restent sources de la principale monnaie d'échange de la corporation. Un programme éducatif a été mis en place afin que les enfants nés en Enfer et au Purgatoire soient élevés autour du programme hydroponique, cela avec le bourrage de crâne habituel du système corporatiste. A terme, le conseil espère disposer d'une génération d'ouvriers et d'ouvrières spécialisés, dociles et productifs, comme au bon vieux temps.
La station Dessala, plus petite, est également structurée sur trois niveaux dont seul le plus haut respecte un tant soi peu les publicités anciennes de MoonCol. Sa population est de 5 329 habitants, soit un excès de 35%. Oui, c'est beaucoup. Le conseil de Dessala à la lourde tâche de faire tourner plusieurs chaînes d'assemblage permettant de fournir des éléments technologiques et militaires, cela grâce à de performantes unités géantes robotisées. Pour tout dire, il arrive que la population de l'Enfer soit oubliée pour de longues périodes. Avec ses trois centaines de corpos, la station offre une certaine opulence à celles et ceux de son Paradis, mais engendre également de violentes révoltes, impitoyablement matées par une garde exclusivement robotique.
Dessala dispose également de laboratoires de recherche sur la cybernétique, dont les équipes ponctionnent régulièrement des cobayes qui se voient récompensés par une installation au Purgatoire. Aucun d'entre eux n'a cependant le temps de profiter des joies de trois repas quotidiens bien longtemps, le taux de mortalité étant de 99%. Quelles cyber-recherches impliquent un tel carnage? Penserez-vous. Eh bien durant la guerre contre les Onze, des projets nanotech furent dérobés sur des stations lunaires rivales, et depuis lors, des équipes insuffisamment qualifiées dans le domaine cherchent à créer des colonies nanoactives, afin de remplacer efficacement des membres, organes, et rendre les cadres de MoonCol immortels. Cela ne fonctionne pas vraiment.
Située au beau milieu de mare vaporum, la station Dessala est essentiellement enterrée dans le substrat lunaire, avec peu de dômes visibles et un spatioport dévasté par une explosion nucléaire, il y a de cela bien longtemps. Sa grille de défense compte d'énormes sentinelles armées de rampes magnétiques, mais surtout plusieurs essaims de drones lunaires, semblables à des araignées dotées de gatling et s'enterrant dans le sol. Malgré leur peu d'efficacité en matière de nanotechnologie, les équipes scientifiques de Dessala bénéficient d'un important savoir-faire sur d'autres domaines, et maintiennent ainsi à plein rendement le réacteur de la station ainsi que l'ensemble des supports vitaux.
Les trois autres stations fondées par MoonCol et perdues bien avant le Point final sont en ruines, leurs dômes ont pour la plupart brûlés, et quelques explosions nucléaires ont achevées de rendre les lieux inhabitables pour quelques générations. La corporation estime cependant que bon nombre de niveaux enterrés, ainsi que quelques dépôts isolés, peuvent être récupérés, ou au pire phagocytés afin de renforcer les structures toujours opérationnelles. Des expéditions robotisées ont été envoyées, mais de trop fortes radiations semblent affecter les plus résistantes unités. Évidemment, le conseil d'administration envisage d'envoyer des groupes de détenus, bien moins coûteux que des machines, reste à sélectionner des éléments à peu près fiables et compétents pour fournir des rapports techniques.
MoonCol, à son heure de gloire, disposait d'importantes infrastructures sur Terre; Site de lancement nord-américain, plateformes dans et sous l'océan Pacifique, armée privée, ainsi qu'une petite station orbitale. Plus rien de tout cela ne subsiste et les ressources de cette petite corporation sont ainsi concentrées sur la Lune. Quelque part, cette situation lui aura valu de se voir grandement épargnée par le Point final, mais son isolement depuis dix ans inquiète les membres du conseil d'administration, qui voient la situation dégénérer de plus en plus fréquemment au sein des enfers. Deux pistes sont explorées afin d'apaiser la situation; La reconquête des anciens sites, à grands frais mais permettant potentiellement de répartir la population carcérale. Mais également l'exploration des structures abandonnées par les Onze, faiblement peuplées mais bien protégées par un réseau de défense performant. La collaboration avec les habitats en orbite pourrait hâter cette opération sensible, mais ces derniers pourraient également décider de s'emparer pour eux-mêmes des précieuses ressources technologiques laissées par les keratsu sur l'astre lunaire.
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